Sur les traces de Lucy Walker – le film

De longs mois de recherches

Comment décrire l’émotion qui vous submerge lorsque vous atteignez enfin le sommet, dominant toutes les montagnes environnantes, embrassant la mer de nuages qui recouvre Zermatt, et les glaciers étincelants du Mont Rose et de la Couronne Impériale? Alors que le vent soulève vos jupes, menace de faire envoler votre chapeau et de vous déséquilibrer à chaque rafale? Ce sont des moment indicibles, qui restent gravés dans votre cœur pour toujours…

J’ai eu la chance de vivre cette expérience unique le 18 août dernier, en gravissant le Cervin en costume du XIXe siècle, et de mettre mes pas dans ceux d’une femme extraordinaire, la premièreà avoir vaincu cette fameuse montagne: Lucy Walker. Vu de l’extérieur, cela doit paraître saugrenu, voire un peu dangereux de se lancer dans une telle aventure en jupe… Et pourtant, ce qui m’a poussé à réaliser ce projet un peu fou, ce n’est pas une idée farfelue, mais bien l’aboutissement de longs mois de recherches historiques.

Lucy Walker et Melchior Anderegg, mise en scène de Marie-France Hendrikx
© Michaël Rouzeau  – Film – Sur les traces de Lucy Walker – Luna Fims et Waw Crea production.

Historienne, j’ai découvert Lucy Walker «par hasard» et, en m’intéressant à elle, je me suis rapidement aperçue qu’il est très compliqué de faire l’histoire des pionnières de l’alpinisme car il n’existe que très peu de traces de leur parcours et ce qui est mis en avant est souvent inexact ou relevant de stéréotypes anciens.

La vie et le palmarès de Lucy Walker sont sans cesse évoqués au travers des mêmes anecdotes et des mêmes clichés genrés: ses tenues vestimentaires, ses habitudes alimentaires, sa relation «ambigüe» supposée avec son guide, son physique peu «gracieux»… Si on écarte ces quelques éléments superficiels, on ne connait presque rien sur sa personnalité et son parcours.

A la fin du XIXe s., dans la société victorienne, la bienséance et la discrétion étaient les principales qualités demandées aux femmes, destinées à devenir des épouses et des mères.  Les pionnières devaient briser des tabous importants pour gravir les plus hauts sommets. Peu habituées à se mettre en avant, elles n’ont laissé que de rares témoignages de leurs exploits. Il est donc extrêmement compliqué de connaître de l’intérieur leurs aspirations, leurs doutes, leurs émotions.

Devant ces constats, j’ai choisi d’explorer d’autres pistes, de chercher du côté de l’histoire du costume et de l’histoire du corps et de tester des fac-similés sur le terrain. 

Comme l’alpinisme il y a 150 ans © Michaël Rouzeau  – Film – Sur les traces de Lucy Walker – Luna Fims et Waw Crea production.

L’amitié et la solidarité, les clés de la réussite

Au départ, je n’avais pas imaginé gravir le Cervin en jupe, je cherchais simplement à comprendre le quotidien des femmes du XIXes et à essayer de vivre de l’intérieur les sensations qu’elles éprouvaient. En partant sur les traces de Lucy Walker, j’ai découvert qu’elle avait gravi non seulement le Cervin, mais aussi 90 sommets des Alpes, accompagnée par son père Franck, son frère Horace et son guide Melchior Anderegg, devenu son ami fidèle. Progressivement, j’ai découvert, à travers les documents historiques, de véritables pépites, qui m’ont permis de comprendre que Lucy était la première alpiniste féminine professionnelle, vouant plus de 30 ans de sa vie à la passion des montagnes. Je souhaitais lui rendre hommage et documenter ma démarche et c’est ainsi que l’idée de réaliser un film pour les 150 ans de l’ascension du Cervin est née.

Avec Michaël Rouzeau et Gaëlle May, réalisateurs, je suis partie à la rencontre de spécialistes, qui m’ont aidée à reconstituer les vêtements et le parcours de Lucy. Il a ensuite fallu persuader un ami guide, Laurent Grichting, d’embarquer dans ce projet fou et d’accepter d’incarner Melchior Anderegg. 

Ensemble, nous nous sommes entraînés, puis aidés par Angelina Aomar, costumière, nous avons expérimenté et testé du matériel, durant de longues semaines, avant de nous lancer d’abord dans l’ascension du Balhorm, au début du mois de juillet, puis, finalement du Cervin le 18 août.

En accomplissant ces courses, nous avons compris de l’intérieur une époque où, loin des critères actuels basés sur la rapidité et la compétitivité, la réalité de l’alpinisme se fondait essentiellement sur une manière d’être au monde, à son environnement et sur une pratique totalement différente de la marche et de l’escalade. Loin d’être des « extravagantes », les pionnières  constituaient de véritables athlètes, polyvalentes et endurantes.

Une ascension unique du Cervin

Le 18 août 2021, à 4h30, lorsque nous avons quitté la cabane Hörnli et qu’il a fallu nous soumettre au même rythme que les alpinistes vêtus de manière contemporaine, j’ai vite compris que je devrais me battre pour arriver au sommet. Mes chaussures en cuir, mes 3 jupes, mon corset, mon corsage et ma grosse veste de laine constituaient évidemment un véritable handicap mais je me sentais reliée à travers le temps à Lucy Walker, et bien décidée à prouver qu’aucun obstacle n’a jamais empêché les femmes de poursuivre leur rêve.

Arriver à la cabane Solvay, juste au moment où le soleil émergeait au-dessus de la mer de nuages m’a redonné de l’énergie pour affronter la suite: le vent cinglant, les chutes de pierres et de glace dans les cordes fixes, le froid qui engourdissait progressivement mes mains et mes pieds… Et si, à 9h20, j’ai finalement atteint le sommet, c’est uniquement grâce à la solidarité: celle de mon guide, d’abord, qui a endossé de grands risques en acceptant de partir uniquement relié par une corde en chanvre et m’a motivé quand les doutes m’assaillaient; celle d’une seconde cordée d’amis qui portait le matériel de tournage et le ravitaillement ensuite; celles des autres cordées, où de parfaits inconnus m’encourageaient…

Marie-France Hendrikx dans le costume de Lucy Walker © Michaël Rouzeau  – Film – Sur les traces de Lucy Walker – Luna Fims et Waw Crea production.

Ainsi, en 2021, j’ai eu l’immense privilège de pouvoir me relier aux anciens, à celles et ceux qui ont ouvert des voies et nous montrent encore aujourd’hui que, plus que les performances et la vitesse, ce sont la camaraderie et de l’esprit de groupe qui permettent la réussite: dans une cordée où chacun est responsable de l’autre, la cohésion et l’objectif communs gomment, au moins pour un instant, les différences. Et, à l’image de Lucy Walker et Melchior Anderegg, c’est grâce à l’amitié, que j’ai pu accomplir cette ascension hors du commun.

Vous trouverez ici le lien vers la documentation.

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